Arrêtez de vous disputer!!
De nombreux patients me remontent des discussions très difficiles avec leur entourage, que ce soient leur conjoint ou leurs parents, voire des collègues de travail ou des amis. Tout le monde s’aboie dessus, on dit des choses qui dépassent de loin notre pensée, on reçoit des choses excessivement violentes…et quand ça se termine enfin, on se sent hyper mal, on a vraiment l’impression que c’est de la faute de l’autre et surtout que rien n’est réglé ! limite on pourrait recommencer 10 minutes après…
Dans le courant psychologique de l’analyse transactionnelle, nous appelons cela un jeu psychologique. Il se déroule toujours de la même manière :
Préparation du plateau
Pour commencer, on lance un appât, un pic, quelque chose qui va bien faire réagir l’autre, qui va le faire entrer dans le jeu. Classiquement, c’est un reproche, quelque chose d’agressif mais nous verrons ensuite que cela peut avoir d’autres formes.
Déroulé du jeu
- une fois que l’on est entré dans le jeu, on va prendre des rôles : le sauveur, la victime et le persécuteur
- La victime est dans le mode Caliméro : ce n’est pas de ma faute, c’est injuste, c’est toujours à moi que cela arrive. Elle considère qu’elle est inférieure aux autres
- Le sauveur va tenter d’aider la victime mais en se mettant dans une position de supériorité vis-à-vis de lui : il va essayer de faire à sa place ou de le protéger en l’écrasant.
- Le persécuteur va ,lui, persécuter la victime : il va la critiquer, lui imposer sa vision des choses… il va aussi prendre une position de supériorité vis-à-vis d’elle.
- Les rôles peuvent changer : en une phrase, on peut être persécuteur sauveur victime sans aucun problème ! L’autre s’adapte alors en prenant lui aussi un ou plusieurs rôles.
- Le jeu continue jusqu’à ce que quelque chose l’arrête : un des deux participants sort, quelqu’un entre dans la pièce, quelque chose vient perturber le jeu…
Comptage des points et désignation du gagnant
La particularité de ce jeu est que personne ne gagne et même tout le monde perd ! On se sent très mal après ce genre de conversation, on a joué des rôles, on a parfois dit des choses que l’on ne pensait pas, on a entendu des choses qui nous ont blessés, on a eu l’impression d’essayer de dire quelque chose sans avoir réussi et on rejette souvent la responsabilité de ce mal-être sur l’autre…
En partant du principe que nous avons un besoin vital de communiquer et qu’il pourrait être quantifié, ce jeu est une excellente manière de remplir notre quota, l’une des meilleures d’ailleurs ! Mais les unités de communication qu’il nous apporte sont négatives. Si on fait le parallèle avec le fait de boire, c’est un peu comme si on était complètement déshydraté, qu’il nous fallait absolument boire mais que nous n’avions que de l’eau salée à notre disposition…au bout d’un moment, on en boit même si cela va nous faire du mal !
La plupart du temps, derrière cette manière de communiquer, il y a un vrai message que l’on aimerait faire passer à l’autre, un message qui parle de nos besoins profonds, de nos émotions.. mais nous ne réussissons pas à livrer ce message car soit nous ne le conscientisons pas, soit cela nous semble beaucoup trop risqué : la peur du rejet, du jugement nous empêche de nous exprimer totalement et nous préférons alors passer par ce mode de communication même si cela ne nous permet pas de passer le message plutôt que de ne rien dire du tout. Mais de ce fait, comme le message ne passe pas en communiquant ainsi, à la prochaine occasion où nous ressentons le besoin de le faire passer, nous nous arrêterons sur les mêmes difficultés d’expression et nous pourrons alors retenter un jeu !
Le jeu le plus courant est la dispute mais il y a beaucoup d’autres formes. Un grand classique est celui du oui mais : quelqu’un cherche de l’aide et dès que son interlocuteur lui propose quelque chose, il lui répond oui mais et donne une excuse pour ne pas avoir à suivre cette proposition
Ex : -je cherche un cadeau d’anniversaire pour mon père, est ce que tu aurais des idées ?
- Le parfum. Oui mais je lui ai acheté ça l’année dernière
- Une cravate. Oui mais il n’en porte jamais
- Un resto. Oui mais il n’y a pas vraiment de resto autour de chez lui, ils sont à la campagne
- Un spectacle. Oui mais il déteste les pièces de théâtre et la danse, je t’en parle même pas…
Je pourrais continuer à lister toutes les idées de cadeaux mais je pense que vous voyiez très bien de quoi je parle 🙂
Dans ce jeu, on enchaine les rôles de sauveur et de victime. Le ton ne monte pas, on ne peut pas considérer que c’est une conversation désagréable à la base mais finalement, celui qui veut offrir le cadeau à son père a l’impression qu’il ne trouvera jamais d’idées et que son interlocuteur n’est pas du tout aidant et celui qui donne des idées a l’impression que cela n’en finira jamais et que l’autre le remet en cause en n’acceptant pas ses différentes idées.
Le jeu psychologique peut être anecdotique dans une relation, une petite dispute de temps en temps. Il peut aussi devenir le mode de communication principal entre 2 personnes voire même être la base d’une relation.
Par exemple, dans nos cabinets, nous recevons régulièrement des patientes qui acceptent de se faire insulter ou rabaisser par leur conjoint. Elles en parlent en thérapie, s’insurgent même parfois de ce comportement qu’elles peuvent même qualifier d’insupportable et pourtant elles restent…Elles intègrent complètement le rôle de victime et y trouve assez de bénéfices secondaires inconscient pour ne pas avoir envie de changer la situation La relation est alors exclusivement persécuteur- victime. Et un jour, elles peuvent décider de réagir. Elles se transforment alors la plupart du temps en persécuteur et l’homme peut alors prendre le rôle de victime (ne me quitte pas, je ne suis rien sans toi, je vais changer, excuse moi…).
Pour avoir des relations saines avec quelqu’un, l’objectif est de ne pas utiliser ce mode de communication mais ce n’est pas facile ! En effet, il y a quand même des avantages importants à jouer :
- Cela donne des sensations fortes !
- C’est un processus inconscient : on a l’habitude de communiquer ainsi, on ne s’en rend pas compte, le véritable besoin que l’on aimerait exprimer n’est souvent pas conscientisé, on sent que quelque chose ne va pas et c’est souvent la manière qu’on a appris pour régler ces sensations
- Cela peut nous permettre d’exprimer des émotions (de la colère par exemple) qui sont contenues sinon
- Cela remplit beaucoup notre jauge d’unités de communication
- Cela permet d’entretenir des relations passionnelles : je t’aime, moi non plus, on se hurle dessus et on se réconcilie sur l’oreiller !
- Cela nous permet de ne pas dévoiler nos émotions ou besoins profonds et à travers cela de ne pas se sentir vulnérable
- Cela peut être l’unique mode de conversation avec certaines personnes : arrêter de jouer signifie donc revoir en profondeur ces relations voire même prendre le risque de les rompre.
Si vous êtes prêts à diminuer ces conversations toxiques, voici quelques règles et astuces
- Un jeu qui démarre va jusqu’au bout ! on ne peut pas arrêter un jeu, s’il commence, on ira jusqu’aux sentiments indésirables.. si on veut les éviter, il faut donc ne pas rentrer dans le jeu.
- On joue à 2 : on ne peut pas jouer tout seul…il y a celui qui lance l’appât et celui qui le reçoit qui décide de réagir : les deux sont aussi responsables l’un que l’autre de jouer.
- Si on ne veut pas rentrer dans un jeu, il faut donc retenir ses appâts et ne pas se transformer en victime, persécuteur sauveur lorsque l’on en reçoit un
- Lorsque l’on a envie d’envoyer un scud à quelqu’un, il faudrait alors se demander ce qu’on aimerait vraiment lui dire si nous n’avions aucun frein
- Lorsque l’on reçoit un appât, il faudrait réussir à ne pas être trop ébranlé pour pouvoir répondre de manière très factuelle ou au contraire exprimer ce que l’on ressent pour ne pas lancer le jeu.
Bien entendu, ce n’est pas simple et la plupart du temps, on ne réussit pas à éviter les jeux au départ.
On commence d’abord par les identifier après coup : cela peut déjà permettre d’atténuer la sensation de mal-être qui suit. On sait ce qui s’est passé et on comprend un peu mieux ce que l’on ressent. On peut aussi plus facilement intégrer que l’autre ressent la même chose et que nous sommes co-responsables de cette situation et donc diminuer potentiellement la rancœur que l’on peut ressentir vis à vis de notre interlocuteur.
On s’en rend compte ensuite de plus en plus tôt au cours du jeu et cette prise de conscience peut être l’élément qui va arrêter le jeu en cours.
Puis on réussit à l’identifier juste avant de démarrer : l’étape suivante est donc de réussir à ne plus rentrer dans le jeu. Une psychothérapie peut alors vraiment vous aider à identifier vos besoins et les exprimer plus facilement, développer la confiance en vous nécessaire pour aborder tous les sujets sans avoir peur d’être rejeté ou jugé et enfin faciliter la verbalisation de vos ressentis pour mieux répondre aux appâts sans commencer un jeu.